Le Courrier | La fin du droit d’asile pour les déserteurs…

Article de Laura Drompt publié dans Le Courrier du 24 mai 2013.

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«La désertion est un droit. Dans certains pays, c’est même un devoir éthique.» Selon Denise Graf, coordinatrice d’Amnesty International, le retrait du droit d’asile pour les déserteurs montre à quel point la Suisse se fourvoie dans sa politique migratoire.
Il s’agit de l’une des mesures urgentes en vigueur depuis septembre dernier et qui pourrait se voir ancrer dans le droit ordinaire après les votations du 9 juin. Avec cette modification de la Loi sur l’asile (LAsi), le parlement propose de modifier le statut de réfugié, en ajoutant un paragraphe: «Ne sont pas des réfugiés les personnes qui, au motif qu’elles ont refusé de servir ou déserté, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être.»

Les Erythréens: principaux visés
Par cet alinéa, les partisans du oui à la nouvelle formulation de la LAsi espèrent «une diminution de l’attrait de la Suisse comme terre d’asile». Selon le comité intitulé «Oui à une politique d’asile qui fonctionne», la Suisse sera ainsi assurée que seuls les réfugiés «dont la vie et l’intégrité corporelle sont réellement menacées» puissent obtenir l’asile.
Les principaux visés par cet amendement sont les déserteurs et les déserteuses érythréen-ne-s – dans ce pays, les femmes sont soumises au service militaire au même titre que les hommes. La droite redoute une explosion des demandes en provenance de ce pays, dont la situation est particulièrement dramatique, et souhaite, grâce aux mesures urgentes, freiner les demandes d’asile.
Selon les chiffres de l’Office fédéral des migrations (ODM), sur les 1332 Erythréens ayant obtenu l’asile en 2012, la moitié environ ont acquis ce statut en raison de la peine encourue après une désertion ou un refus de servir.
Avec les mesures urgentes, quel sort leur est-il réservé? «Les requérants ont aujourd’hui la possibilité de recevoir un visa humanitaire de trois mois, explique Céline Kohlprath, porte-parole de l’ODM. Une personne dont la vie ou l’intégrité physique est en danger a ainsi la possibilité de venir en Suisse pour y déposer une demande d’asile.» Il s’agit de permis F, provisoires, qui ne donnent pas droit au regroupement familial, par exemple.
Selon l’ODM, «la suppression de la désertion comme motif d’asile ne va rien changer en ce qui concerne la pratique actuelle des renvois». C’était même l’argument principal de la socialiste Simonetta Sommaruga, cheffe du Département fédéral de justice et police, pour défendre les mesures urgentes contre son propre parti.

Statut précarisé
L’attribution de permis F ne convainc pas Amnesty International. «Les déserteurs érythréens continueront à venir dans notre pays. Comme par le passé, ils ne pourront pas être renvoyés dans leur pays dès lors qu’ils y risquent la torture. Leur statut en Suisse va par contre se modifier et se précariser. Ne pouvant bénéficier des droits reconnus aux requérantes et requérants d’asile ou aux réfugiés, ils ne bénéficieront plus que d’une admission dite provisoire, qui rendra plus difficile leur intégration chez nous.»
Selon les milieux de défense des migrants, il serait faux de croire que, avant l’introduction de cette mesure urgente, l’attribution du statut de réfugié au motif de la désertion était généreuse. Bien au contraire: «La pratique était déjà extrêmement restrictive et il fallait de toute façon apporter des preuves concrètes de menaces très graves pour obtenir l’asile en raison de la désertion», indique Mme Graf.
L’Erythrée n’est pas le seul pays d’origine concerné. Les ressortissants de la République démocratique du Congo, de la Syrie, de la Somalie, ou encore de la Turquie sont aussi touchés. Autant de pays où le service militaire peut mener les citoyens à prendre les armes contre des membres de leur propre famille ou ethnie, voire les forcer à violer les droits humains.
Denise Graf, qui a défendu des requérants d’asile en provenance de ces régions, relève que l’on ne parle même plus, dans ce dossier, des convictions profondes des personnes. Elle raconte que, dans un cas seulement, elle est parvenue à obtenir l’asile en raison de la désertion. Il s’agissait d’un conscrit qui avait subi des traitements dégradants au sein de l’armée. «Jamais je n’ai réussi à décrocher l’asile pour le seul motif de désertion; on me répondait que servir était une obligation civique! Mais, en Turquie, il arrive que des frères soient face à face. L’un pour la guérilla, l’autre enrôlé par l’armée. Quant à la Syrie, ceux qui refusent l’ordre de tirer sur un concitoyen risquent la mort.»

Un précédent créé
Aldo Brina, chargé d’information au Centre social protestant et membre de Stop Exclusion, craint quant à lui la portée symbolique de cette modification législative: «Dans la pratique, depuis septembre, il n’y a pas eu de changement spectaculaire. Mais que se passera-t-il sur le long terme? Surtout, un précédent a été créé. Si la Suisse se permet d’ajouter des alinéas pour modifier la définition du terme ‘réfugié’, qu’est-ce qui empêchera les autres pays de faire de même? Où s’arrêtera-t-on?»
Denise Graf en appelle à la responsabilité du gouvernement: «Combien de fois a-t-on fait croire au peuple qu’on tenait ‘la’ solution pour l’asile? Malgré tout, on continue sur la même lancée et l’on détériore chaque fois un peu plus les conditions de vie des réfugiés. Une majorité du parlement a perdu ses repères et décide de choses dont on sait qu’elles ne sont pas efficaces. Il est temps d’arrêter.»

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