Le 3 juin 2013, le « Politblog » du Tagesanzeiger a donné carte blanche à Aldo Brina, qui répond ainsi à cette question…
En 2006, lors de la dernière votation fédérale sur l’asile, Christoph Blocher défendait la révision de la loi. La seule évocation d’une lex Blocher suffisait à mobiliser largement contre des durcissements qualifiés « d’inhumains », un large comité bourgeois s’était constitué, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) avait investi des moyens considérables dans la campagne.
En 2013, c’est la socialiste Simonetta Sommaruga qui est en charge du dossier. La révision est présentée comme nécessaire pour la mise en place de procédures équitables, dans le soi-disant respect (dixit Mme Sommaruga) des demandeurs d’asile. Les bourgeois qui protestent se font plus rares, tandis que l’OSAR n’a même pas publié de communiqué ad hoc appelant à rejeter la révision.
Le changement est frappant. Pourtant le Parlement fédéral qui a adopté les mesures sur lesquelles nous votons cette année est bien plus à droite qu’il y a sept ans, et soumis à une pression constante de l’UDC en matière d’asile et de droit des étrangers. En plus, la révision du 9 juin contient des durcissements incontestables hérités des Conseillers fédéraux Blocher et Widmer-Schlumpf. Ceux-ci s’attaquent aux réfugiés les plus vulnérables – suppression des demandes déposées à l’ambassade – ou ont une portée symbolique vertigineuse – ajout d’un alinéa dans la loi suisse pour restreindre la définition pourtant internationalement établie du réfugié.
La votation du 9 juin va consacrer un durcissement des procédures d’asile. Simonetta Sommaruga lors d’une conférence de presse en mars 2013(Images: Keystone / Lukas Lehmann)
Si le contenu des révisions de la loi sur l’asile n’a guère changé, voire s’est empiré, comment expliquer l’apparition de la contradiction des « durcissements respectueux » ? Force est de constater que l’appartenance partisane de la Conseillère fédérale Sommaruga, socialiste, change la donne : elle permet d’apposer un label humaniste à des durcissements qui s’inscrivent pourtant dans la droite ligne de ce qui se fait depuis plus de deux décennies. Mais ce n’est pas tout.
Mme Sommaruga a axé toute sa campagne sur l’accélération des procédures, minimisant l’impact des durcissements qu’elle n’assume pas et offrant ainsi un boulevard aux politiciens de droite qui peuvent désormais s’engouffrer dans la brèche de l’accélération et se présenter comme les ardents défenseurs de la tradition humanitaire. Par ce choix de communication, la ministre espère ne pas perdre la face devant son parti, qui a toujours défendu le droit d’asile et combattu les durcissements. Elle tente aussi de surfer sur le large consensus existant sur la nécessité d’accélérer les procédures – qui voudrait des procédures lentes ?
Seulement voilà : les mesures urgentes n’ont que peu à voir avec l’accélération des procédures. Des tests de procédure accélérée sont certes prévus, ceci dit non seulement ils ne concerneront qu’un cinquième de demandeurs d’asiles, mais en plus ils seront appliqués à ceux dont les dossiers ne nécessitent pas d’instructions supplémentaires. Autrement dit : on appliquera la procédure accélérée uniquement aux cas qui peuvent facilement être rejetés par les autorités. Ces dossiers sont déjà traités rapidement aujourd’hui puisque, selon un rapport de l’Office fédéral des migrations[1], 60% des demandes sont réglées en moins de 180 jours!
En fait, deux facteurs prolongent la durée des procédures. Premièrement, l’administration gèle elle-même le traitement de certains dossiers précisément parce qu’ils pourraient aboutir à l’octroi d’une protection – comme c’est le cas actuellement avec les demandeurs syriens. Deuxièmement de nombreux demandeurs d’asile déboutés ne sont ni régularisés (nos lois sont trop restrictives) ni expulsés (les pays d’origine ne délivrent pas les laissez-passer nécessaires) et restent des années durant dans le no man’s land administratif de l’aide d’urgence. Ces vraies causes de lenteurs ne trouvent aucun remède dans les mesures urgentes, que le Conseil fédéral vous demande pourtant d’accepter au nom de la sacrosainte accélération. Pure esbroufe.
Une accélération douteuse, grignotée pour l’essentiel sur les délais de recours, justifie-t-elle des mesures urgentes qui par ailleurs menaceront les déserteurs érythréens et livreront quelques cadavres de plus à la mer en supprimant les procédures d’ambassade ? Clairement non.
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