1400 jours contre 140 jours ? Le leurre de l’accélération des procédures d’asile

Projetée avec insistance lors du débat  Infrarouge du 22 mai 2013 sur la révision de la loi sur l’asile, l’infographie avait tout pour frapper les esprits. Imaginez un peu : aujourd’hui, 1400 jours comme durée moyenne de traitement des demandes d’asile. Demain, l’eldorado : 140 jours au maximum. Qui pourrait décemment être contre une telle «accélération des procédures»? Le problème est que l’infographie est archi-fausse. Elle consiste à  comparer des pommes et des bananes.

1400 jours correspondent en fait à la durée de présence sur le territoire helvétique d’une personne jusqu’à son renvoi ou à l’obtention d’un autre statut. Elle englobe la durée de la procédure, mais surtout en cas de décision négative, la période durant laquelle l’exécution du renvoi s’organise, au terme de cette procédure.

Or, la grande difficulté des autorités réside dans la collaboration avec les pays d’origine des demandeurs d’asile et les accords de réadmission. C’est donc cette période d’exécution du renvoi qui est longue. Et qui aurait dû être ajoutée aux 140 jours pour que la comparaison soit valide. Pourquoi Madame Sommaruga, Ministre de la Justice, ne rectifie-t-elle pas ? Un Conseiller fédéral a-t-il le droit de mentir, même par omission, pour faire passer son projet ? N’appelle-t-on pas cela de la propagande ?

En réalité, selon les chiffres de l’Office fédéral des migrations, la durée moyenne globale des procédures est de 232 jours. Et près de 60% des demandes sont traitées en moins de six mois, soit quelques 180 jours[1]. Selon le projet de Madame Sommaruga, 60% des demandes seront traitées en moins de 140 jours. Faites-donc le calcul :   l’« accélération » sera de 40 jours ! Quand Madame Sommaruga vend sa marchandise en relevant qu’il est « inhumain de laisser un jeune Afghan attendre deux ans avant d’être fixé sur son sort », on peut sourire : son office a donné l’ordre de mettre en attente les demandes d’asile des Syriens arrivés en Suisse.

Comparaison : Procédure d’asile actuelle versus projet d’accélération de l’ODM – Durée des procédures aujourd’hui (nombre de jours) selon le type de procédures (accélérée/NEM ou étendue/ordinaire), au moment de l’évaluation effectuée par l’ODM ou après l’accélération des procédures promise

Et puis, même ces chiffres sont à relativiser : en 2012, 65% des décisions ont été des « non-entrées en matière », soit des décisions lapidaires, n’examinant pas les motifs d’une demande d’asile. Des procédures qui, selon le rapport de l’ODM, durent en moyenne entre 110 et 120 jours.

Autrement dit, cette révision ne va pas « accélérer les procédures » ou pratiquement pas. Encore moins les réduire dans la proportion répétée à l’envi par les autorités politiques et les médias. L’ «accélération des procédures » est juste un leurre, bien emballé dans des chiffres mensongers. Notre infographie, ci-joint, donne de l’eldorado une image bien plus nuancée… (cliquer pour agrandir)

Le hic, c’est que dans le reste du « paquet ficelé » que Madame Sommaruga veut faire avaler à la population, il y a des mesures qui, au mieux ne servent à rien, au  pire auront de graves conséquences pour les personnes concernées. Par exemple celles qui ont refusé de tirer sur leurs compatriotes en désertant l’armée. Par exemple celles qui n’ont pu s’adresser à une ambassade suisse pour obtenir une protection. Mais bon, Madame Sommaruga nous assure qu’elle veut ainsi « préserver notre tradition humanitaire ». Pour qui nous prend-elle ? Pour qui vous prend-elle ?

Sophie Malka, Vivre Ensemble

Marie-Claire Kunz, Centre social protestant – Genève, secteur réfugiés

*  Pour en savoir plus : https://www.stopexclusion.ch/argumentaire/#acceleration et sur les statistiques www.asile.ch/vivre-ensemble